meinetwegen

tentative de rattrapage, espace d'exploration, d'échange et d'expérimentation, tout par la langue, rien que la langue, slurp.

24 Oktober 2008

Journal de celui qui est parti – 12

Tous pensent que je suis parti seul. Personne ne peut se douter du contraire. Personne n'aurait pu se méfier. On ne s'est jamais méfié de moi. J'ai toujours été d'une exemplaire honnêteté. Et pourtant. Pourtant je leur ai tous menti. Je les ai tous dupés. Et personne n'a rien vu. Même pas C. Je suis parti à cause d'un regard. Qui m'invitait à le suivre. Un regard que rien ne pouvait égaler. Deux yeux avec qui personne ne pouvait rivaliser. Deux yeux et tout le reste autour bien sûr. Eux pensent que je suis parti sans. Que je suis parti pour tout quitter. Mais je suis parti pour. Pour H. Pour enfin vivre ce que la vie là-bas m'interdisait. Ce que nous nous étions interdit. Tant qu'il y avait les autres. Ici, c'est différent. Ici, nous ne sommes que pour nous. Sans les autres. Sans tous les autres. Avec H. Rien qu'avec H. Elle vaut tout les autres, tout le reste de ma vie. Un maigre sacrifice pour tout ce que j'ai gagné. Personne ne pourrait le comprendre. Personne n'a rien vu. Pas même C. Elle ne le saura peut-être jamais. H. est partie la première. Apparemment, elle avait moins à quitter que moi. Elle est partie avec ma promesse de la suivre, de la rejoindre. Nous avons choisi la destination ensemble. Nous en rêvions. Séparément et ensemble. Le choix a donc été évident. Elle m'a attendu une semaine, sans avoir peur que je me défile. Elle savait que je ne pouvais lui résister. Elle m'a attendu à l'aéroport, avec son plus beau sourire, guettant mon visage tout confit par le décalage horaire. Deux bagages à main. Ma vie tenait là-dedans. L'essentiel était de l'autre côté de la baie vitrée, dans une petite robe que je ne lui avais encore jamais vue – elle l'avait achetée le matin même, rien que pour moi. Moi. Elle et moi. L'impossible devenait réalité. Dans ce hall d'aéroport où résonnaient les annonces de départ dans un charabia qui se voulait de l'anglais, commençait une nouvelle vie, notre vie. Nous nous sommes enlacés longuement, je la serrais de toutes mes forces, cette nouvelle vie. Nous avons senti les larmes se mélanger sur nos joues. Larmes de joie, les premières après avoir tant pleuré, avant le départ. La veille, j'étais avec les autres dans ce café, au brouhaha familier, à leur réciter le texte que j'avais si souvent répété. En essayant de ne pas trop soutenir leurs regards. L. n'écoutait qu'à moitié, dommage, je comptais sur lui pour me comprendre. Les autres ont dit peu de choses. Je ne leur ai pas parlé de H. La seule raison de tout cela. La seule capable de me faire mourir aux autres. Le temps d'un vol. Un aller simple vers ces deux yeux brillants qui me dévorent de joie. Bienvenue chez nous. Bienvenido mi amor.

09 Oktober 2008

Journal de celui qui est parti – 11

Les visages dans la rue. Petit à petit, la foule anonyme devient familière. Comme à T. Je ne pouvais plus sortir de chez moi sans croiser ce vieillard, ces fillettes. Au fil des jours, je me crée mon nouveau voisinage. Hier, pour la première fois cet homme que je croise presque tous les matins sur le chemin de la boulangerie, m'a salué. Très brièvement. D'un petit hochement de tête, sans sourire. Pour me montrer qu'il me reconnaissait. J'ai répondu. Dans sa langue. Et ce matin, nous nous sommes salués en même temps. Il doit avoir 45 ans et je le rencontre toujours dans la même rue, plus ou moins loin, il a son journal roulé dans la main droite et avance rêveur, toujours avec une cigarette aux lèvres. Il me faisait une impression triste les premiers jours, mais ce matin il a souri. Qui sait si dans quelques jours, nous n'irons pas jouer aux cartes ensemble au grand café du bout de la rue. J'apprécie de reconnaître des gens ici. De voir que petit à petit, cette ville devient ma ville. Notre ville. J'ai toujours beaucoup dévisagé les gens en me promenant, ce qui m'a parfois attiré des regards désapprobateurs voire de vraies altercations. Je sens bien qu'ici, on est habitué à regarder devant soi et à ne pas croiser le regard des autres. Alors j'ajuste le mien, pour ne pas gêner, tout en regardant quand même. De toute façon, on doit voir que je ne suis pas d'ici. Même si personne ne me regarde vraiment. Je crois qu'ici, on ne s'attarde pas à ces détails. C'est bien. Je ne pouvais pas choisir meilleur refuge. En rentrant, une jeune femme, très belle, à la silhouette envoûtante, me fixe du bout de la rue et me fait un clin d'œil plein de sous-entendu… je l'attrape par la taille et l'emmène vers le grand café. "Vous habitez chez vos parents ?" me demande H. dans un éclat de rire.