Tu verras, je suis partout
(pour clarisse, par solidarité)
Bing. Un bing sourd, un bing doux. Le rayon de soleil t'a touché le visage, juste au moment où tu passais la porte. Les sons se sont légèrement amplifiés. Des chants d'oiseaux, des cris d'enfants, tout y est. Et ce rayon de soleil d'hiver, qui réchauffe à peine, mais déjà beaucoup. Tu le sens, l'air autour de toi, vif et glacé, celui-là même qui me caractérise. Tu t'arrêtes net sur le trottoir, lève ton visage vers la lumière qui te nimbe et tu fermes les yeux en gonflant tes narines, tu inspires tout l'air que tu peux. Lentement, tu me fais tes adieux. Tu regardes maintenant tout autour de toi et tu marches aussi normalement que possible, pas trop vite, pas trop lentement, tu veux mémoriser ton pas, la progression des images de la rue, ta rue, puisque je te l'ai prêtée pour quelques mois. Comme le long travelling d'une caméra qui n'est autre que toi. La haute porte rouge, les fenêtres décorées, les petits cailloux pour ne pas glisser, le carrefour décalé, les vélos qui filent, tout ça, tu aimerais le garder. Mais c'est à toi maintenant. Tu le sais, je ne peux pas garder tout ça pour moi. J'ai aussi besoin que tu emportes un peu de moi. Là où tu vas. L'autre ville. Je ne t'en veux pas de partir. J'ai l'habitude. On me quitte bien souvent. Mais j'ai cet avantage sur les autres. Les autres villes. Moi, on ne me quitte jamais vraiment. Je sais y faire. Pour qu'on me regrette. Pour leur manquer à tous. Tu verras. Tu le sais déjà. Alors, prends, vas-y, sers-toi. Tout ça est aussi à toi. Tu l'empiles bien au fond de ton cœur, tu collectes les images, les sensations, les sons et les odeurs. Et quand je te manquerai, dans l'autre ville, de l'autre côté de la frontière, quand tu auras peur d'être loin de moi, tu n'auras qu'à fermer les yeux : bing, la haute porte rouge, les rires des enfants, la pie dans la cour le matin, la sonnette du tram, tout ça te reviendra. Tu verras, je suis partout. Partout où tu seras. Pas besoin de m'appeler, tu te rappelleras. Je te l'ai déjà dit, moi, on ne me quitte pas.