meinetwegen

tentative de rattrapage, espace d'exploration, d'échange et d'expérimentation, tout par la langue, rien que la langue, slurp.

12 November 2008

Journal de celui qui est parti – 14 (dernière page du carnet)

Quatre mois ici. Tout est comme au premier jour. Avec H. Dans cette ville qui est devenue la nôtre. L'émerveillement est le même. La folie des baisers sur les bancs, sous les réverbères. Le souffle court en remontant la rue du grand café. Les dernières minutes avant de s'endormir l'un contre l'autre. J'aide l'épicier en bas de chez nous, je charge les palettes de fruits, fais les marchés, H. est serveuse dans un de nos bars préférés. Notre petite vie prend forme. Nous sommes heureux. Je suis heureux. Je ne sais plus quand j'ai pensé ça la dernière fois, avant d'être ici. Nous prenons corps, surtout les nôtres, nous prenons racine, nous vivons ici. Les chemins familiers, les carrefours où l'on s'embrasse en attendant de traverser. Les boutiques où l'on s'arrête systématiquement, les sourires qu'on arrache maintenant aux voisins, aux gens que l'on croise tous les jours. J'ai commencé à écrire un journal. Un faux bien sûr. Un journal de celui qui aurait quitté cette ville. Un peu comme moi j'ai quitté la mienne. Le journal de celui que j'aurais pu croiser à l'aéroport, faisant le même voyage que moi, dans l'autre sens. Le journal de celui qui est parti. C'est le titre que je lui donnerai. Tout ce qui nous émerveille l'a poussé à partir. Il abandonne ce que nous découvrons. Il aspire à ce que nous avons fui. Si nous nous étions vraiment croisé à l'aéroport, nous aurions pu en discuter. Peut-être aurions-nous découragé l'autre de partir. Chacun aurait alors fait demi-tour et n'aurait jamais su ce qui l'attendait de l'autre côté. J'aurais beaucoup raté. Peut-être que lui aussi. Je ne sais pas encore s'il va rencontrer les autres là-bas. S'il en a besoin pour mieux apprécier son exil. J'intégrerai les personnages que nous nous racontons. Avec H. Il a peut-être croisé H. à l'aéroport, et pas moi. Et c'est peut-être son seul remords d'être parti. D'avoir quitté cette ville. Cette jeune femme aux yeux perdus, avec son sac ridiculement léger, pour un tel voyage. La manière dont elle regarde autour d'elle dans ce décor inconnu. Il se sera retourné plusieurs fois avant de passer le dernier portique de sécurité, il aura voulu lui parler. Il pensera à elle dans les rues de T., sachant qu'il n'a aucune chance de la croiser là-bas. Puisqu'elle est ici, dans mes bras, ou jamais bien loin, ses lèvres dans mon cou et son rire dans mon oreille. H. La preuve que je suis en vie. Avec elle, je vis. Ici.

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