pour son grade
Elle m'a dit : "Je suis amoureuse d'un capitaine de gendarmerie." Comme ça, de but en blanc. Je n'ai pas compris pourquoi. Où était pour elle l'urgence de me délivrer une telle information ? Qu'elle soit amoureuse, soit, c'était sûrement important de me le signaler suffisamment tôt pour que j'évite de me projeter moi-même dans un schéma de séduction, au moins les choses sont claires dès le départ, mais elle aurait aussi pu dire, j'ai quelqu'un, je ne suis pas celle que vous croyez, non, je vous en prie, arrêtez de me regarder avec ces yeux, vous me mettez mal à l'aise, vous me troublez, non, ça elle ne l'aurait pas dit, d'ailleurs elle s'est contentée de me dire qu'elle était amoureuse d'un capitaine de gendarmerie. Elle a répondu ça à ma question, en fait je me rends compte à l'instant qu'elle a vraiment répondu à côté de la plaque. Je venais de lui demander qui elle connaissait dans cette soirée d'anniversaire, ça faisait un moment que nos regards se croisaient, et elle m'a dit ça avec un grand sourire, après m'avoir dit son prénom. J'ai pris ça pour un jeu, une petite provocation, elle essayait sans doute de tester ma réaction, ma spontanéité, elle voulait voir si j'insisterais. Après tout, c'est une bonne nouvelle : cette fille que je ne connais pas encore me fait partager son bonheur dès les premières secondes, m'annonçant fièrement qu'elle vit une histoire d'amour passionnante. Encore que "amoureuse" ne veut pas dire qu'elle vit avec lui. Il s'agit là peut-être d'un appel au secours. Je suis amoureuse d'un capitaine de gendarmerie, qui lui-même est marié, heureux de l'être et ignore tous mes appels, toutes mes lettres, je suis au bout, je ne peux continuer à vivre ce calvaire, s'il vous plait, aidez-moi à trouver une lame assez longue que je me la plante dans le coeur... Elle ne l'aurait pas dit avec ce sourire. A l'inverse, si elle partage déjà la vie d'un gendarme depuis cinq ans, qu'elle l'attend langoureusement tous les soirs au retour de ses interventions, elle ne me dirait pas être amoureuse, mais juste, je suis mariée, je vis avec quelqu'un de plus gradé que toi. Oui, parce que ce qui m'a le plus dérangé dans tout ça, c'est la mention du grade de ce gendarme. Je veux bien que j'aie la tête du civil parfait, dont les doigts trembleraient à la vue d'une arme, qu'est-ce qui a pu lui faire penser qu'il fallait pour me décourager m'annoncer le pédigrée de l'homme qui, apparemment, a ravi son coeur. Elle aurait tout aussi bien eu toutes les raisons de dire je vis avec François, je ne suis pas libre, je brûle d'amour pour un beau blond, mais un capitaine de gendarmerie, d'accord, ça impressionne sûrement ceux qui ont quelque chose à se reprocher, comme une menace sous-entendue, attention mon petit gars, celui que j'aime est plus fort que toi. Et au cas où toi-même tu serais adjudant ou sous-sergent-chef, sache que le mien il est capitaine et que par respect de la hiérarchie, je te somme sur l'heure de cesser toute tentative d'approche à mon égard au risque de devoir encourir des sanctions disciplinaires. Rompez. Qui parle de rompre, alors que nous n'avons rien commencé. Je n'arrive donc pas à savoir si elle m'a dit ça pour l'une ou l'autre raison. J'ai la tête d'un délinquant potentiel ou avéré, d'un petit soldat, d'un pauvre type qui se laisse impressionner par l'uniforme ou elle dit ça à chaque fois, pour voir comment l'autre va se comporter, un petit rituel dans le jeu de la séduction, elle se serait donc amusée avec moi comme avec beaucoup d'autres, en lançant des regards appuyés, en tournant autour du pot et puis quand le monsieur se lance dans une phrase dite d'approche, tout ce qu'il y a de plus banal, elle assène fièrement son leitmotiv "Moi c'est Julia, je suis amoureuse d'un capitaine de gendarmerie."
Je l'ai regardée longuement, sentant qu'elle guettait la moindre de mes réactions et dans un sourire entendu, j'ai dit : "Moi aussi."
2 Vous avez toujours quelque chose à dire :
A 8/11/06 10:27, Bavardage sens dessus dessous sur la culture et la communication, la communication de la culture et la culture de la communication a eu le culot d'écrire
Il y aura une suite ?
Classique : elle éclate de rire et il la saute, "un samedi soir sur la terre".
Boulevard : où l'on découvre que les deux personnages sont amoureux du même capitaine de gendarmerie...
Politique : ... et que celui-ci est devenu ministre de l'intérieur mais que personne ne le sait (qu'il a été capitaine de gendarmerie)
Tragique : elle le gifle, il tombe à la renverse, mais comme ils étaient sur un balcon, Roméo meurt.
A 11/11/06 19:31, Yvan Nigelstadel a eu le culot d'écrire
merci, je ne suis pas Tante Geneviève...
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