Une minute en moins - 6e et dernière partie
C'est maintenant la rage qui anime Georges Meunier alors qu'il monte les escaliers aussi vite qu'il le peut vers son appartement. En proie à une violence dont il n'est pas coutumier, il claque la porte d'entrée derrière lui et va directement dans la chambre à coucher. Le réveil indique désormais 11:23. C'est impossible, se dit Georges, je ne suis pas sorti si longtemps, c'est donc... sans finir sa phrase intérieure, il s'empare du réveil, tire sèchement sur la prise et se rue dans la cuisine, l'appareil sous le bras. Il rassemble toutes les horloges, pendulettes et réveils qui se trouvent dans l'appartement, dégrafe sa montre et les entasse sur le sol en tommettes rouges de la cuisine. Nous avons donc un coucou suisse, un réveil à aiguilles offert par une grande maison de vente par correspondance, deux montres, une pendulette et deux cadrans. Et bien sûr, le réveil Philips tristement connu de nos lecteurs. Georges ouvre ensuite sa vieille trousse à outils et en sort un gros marteau. Avec toute l'énergie qui est encore la sienne après ce début de matinée inédit, Georges Meunier lève la masse bien au-dessus de sa tête et commence à broyer tous ces chefs d'oeuvre de la mécanique horlogère dans un grand fracas. Les éclats de verre sautent, ricochent, le plastique craque, les ressorts volent, Georges siffle des bronches, éructe, jure entre ses dents, ricane d'un rire bestial. On ne peut que se féliciter de l'absence de témoins dans cette scène pathétique. Très vite, le sol de la cuisine est recouvert d'une épaisse couche de débris mêlés. En relevant la tête, Georges aperçoit la minuterie de sa gazinière et d'un violent coup de reins il envoie le marteau dans le cadran de celle-ci qui se brise immédiatement. Tout poète amateur de promenade en barque aurait formulé la chose dans un vers inoubliable, Georges Meunier, lui, préfère l'action et suspend le temps à grands coups de marteau.
Mais à quoi bon tout ce vacarme et cette violence, Georges ? Vous permettez que je vous appelle Georges ?
Ignorant notre interrogation, Georges Meunier, le marteau à la main et les larmes aux yeux (il a dû recevoir quelques particules minuscules projetées dans toutes les directions) prend conscience de l'ampleur vaine de son geste : il ne pourra pas continuer ainsi à détruire tout instrument de mesure du temps. A moins d'arracher les montres des passants, de brûler les bijouteries, de mitrailler les horloges de gare, de faire sauter l'horloge parlante... autant d'actions difficiles à mettre en place de manière isolée. Alors à quoi bon tout ce vacarme et cette violence, se demande-t-il, en prise soudaine au doute et se décidant enfin à réfléchir à la question que nous lui avons posée... Malgré toute la fougue qui l'a portée depuis quelques minutes, Georges Meunier n'est et ne sera pas un héros. Il ne peut agir contre le temps, même si celui-ci se met à accélérer. Ce n'est qu'un petit facteur retraité, voilà tout. Il se laisse alors tomber sur une chaise de la cuisine, face au désordre et au chaos qu'il a généré dans son intérieur propret. Les larmes coulent, et cette fois ce n'est plus seulement la conjonctivite mais bien l'effondrement, l'abandon, le désespoir qui s'expriment. Georges Meunier, à cet instant précis dont il ignore l'heure - il aurait fallu réfléchir avant de tout casser - prend toute la mesure de la médiocrité de sa vie, que nous avions tous cernée dès la deuxième partie de cette triste fable. Tout ça pour ça, sanglote-t-il d'une voix anormalement aiguë. On pourrait presque le prendre en pitié et s'attarder à le réconforter, mais voilà, entre temps, il est midi, et midi, c'est l'heure du déjeuner. (Fin)
Mais à quoi bon tout ce vacarme et cette violence, Georges ? Vous permettez que je vous appelle Georges ?
Ignorant notre interrogation, Georges Meunier, le marteau à la main et les larmes aux yeux (il a dû recevoir quelques particules minuscules projetées dans toutes les directions) prend conscience de l'ampleur vaine de son geste : il ne pourra pas continuer ainsi à détruire tout instrument de mesure du temps. A moins d'arracher les montres des passants, de brûler les bijouteries, de mitrailler les horloges de gare, de faire sauter l'horloge parlante... autant d'actions difficiles à mettre en place de manière isolée. Alors à quoi bon tout ce vacarme et cette violence, se demande-t-il, en prise soudaine au doute et se décidant enfin à réfléchir à la question que nous lui avons posée... Malgré toute la fougue qui l'a portée depuis quelques minutes, Georges Meunier n'est et ne sera pas un héros. Il ne peut agir contre le temps, même si celui-ci se met à accélérer. Ce n'est qu'un petit facteur retraité, voilà tout. Il se laisse alors tomber sur une chaise de la cuisine, face au désordre et au chaos qu'il a généré dans son intérieur propret. Les larmes coulent, et cette fois ce n'est plus seulement la conjonctivite mais bien l'effondrement, l'abandon, le désespoir qui s'expriment. Georges Meunier, à cet instant précis dont il ignore l'heure - il aurait fallu réfléchir avant de tout casser - prend toute la mesure de la médiocrité de sa vie, que nous avions tous cernée dès la deuxième partie de cette triste fable. Tout ça pour ça, sanglote-t-il d'une voix anormalement aiguë. On pourrait presque le prendre en pitié et s'attarder à le réconforter, mais voilà, entre temps, il est midi, et midi, c'est l'heure du déjeuner. (Fin)
3 Vous avez toujours quelque chose à dire :
A 9/9/06 11:59, Anonym a eu le culot d'écrire
Ben voui mais comment qui peut savoir qu'il est l'heure de déjeuner si y a plus d'heure?
A 10/9/06 19:03, Yvan Nigelstadel a eu le culot d'écrire
Eh bien, cher lecteur même illettré,
il vous aura peut-être échappé justement que ce n'est pas Georges qui lit l'heure mais l'auteur de l'histoire, qui n'est pas du genre à sauter les repas pour faire plaisir à ses personnages...
A 10/9/06 20:24, Maître a eu le culot d'écrire
Mais bien sûr que non... ce procédé big lebowskien ne nous a pas échappé, il est la marque d'une ingérence stylistique et dramatique qui fait l'effet d'un électrochoc pour le lecteur absorbé dans le récit qui s'écrit: Mon Dieu, mais on m'espionne... Mais non gros bêta on ne t'espionne pas, c'est l'auteur qui intervient afin de nous rappeler que derrière toute cette magie il y a un homme et que cet homme a faim, comme nous d'ailleurs
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