meinetwegen

tentative de rattrapage, espace d'exploration, d'échange et d'expérimentation, tout par la langue, rien que la langue, slurp.

07 August 2006

Une minute en moins - 3e partie

D'un pas à la fois hésitant et décidé, ce qui confère au retraité une démarche toute particulière au saut du lit, il se dirige dans la salle de bain, car il éprouve le besoin inhabituel de prendre une douche. Ses gestes sont nerveux, voire maladroits, il se rattrape in extremis au bord de la baignoire lorsque son pied glisse dans le fond de celle-ci. Son coeur bat la chamade. Georges Meunier reste longtemps sous l'eau chaude, les yeux fermés, comme pour laver son corps de l'ignominie qu'il vient de subir. A peine sec, il se saisit de son rasoir électrique, ce qui est loin d'être prudent, se rase machinalement sans oser regarder son visage dans le miroir de la salle de bain. Il a en effet croisé furtivement son regard en entrant, un regard inconnu, les pupilles dilatées, la paupière gauche tremblant d'un tic nerveux, il ne veut pas revoir cette tête-là. Inconsciemment, il inspecte longuement les réveils et autres pendules qui ornent chaque pièce de l'appartement, comme si elles allaient parler, le rassurer, lui dire : "Non, Georges, tu n'es pas fou, tu t'es assoupi une minute, une minute voilà tout." Mais ces appareils destinés à aggraver la sensation de vieillissement restent bien muets face aux yeux de Georges, pas un son ne sort d'eux, si ce n'est le tic-tac coutumier et atone. Pourtant, en ce début de journée pour le moins inquiétant, Georges Meunier aurait préféré être confronté à la situation absurde d'une pendule qui l'interpelle par son prénom, ce qui l'aurait convaincu que rien ne va plus et l'aurait presque rassuré. Mais tout a bien l'air d'aller. Rien, absolument rien n'est différent de d'habitude. A part lui, debout dans la cuisine, nu, sa serviette de bain autour de la taille, les cheveux blancs en bataille. Quand il prend conscience de l'image qu'il est en train de donner à ses meubles, il retourne presque méfiant dans la chambre à coucher, jette un regard plein de défiance à son radio-réveil et s'habille dans l'obscurité. Depuis 7h48, l'excitation ne l'a pas quitté. Il doit s'arrêter dans ses gestes quotidiens pour reprendre son souffle, transpire immodérément pour cette matinée d'avril, se retourne sans arrêt dans le couloir, pour voir si personne ne le suit. Il s'ébouillante presque le palais avec sa chicorée qu'il a laissée bouillir, y trempe sans appétit ses tartines beurrées tout en écoutant la radio qui continue de faire comme si rien ne s'était passé. Si tous les événements qui ont précédé laissaient deviner un grand tourment chez le vieil homme, en voilà un qui ne laissera personne indifférent, ce 20 avril 1998, Georges Meunier ne finit pas son petit déjeuner. Il enfile ses chaussures fourrées qu'il porte chaque année jusqu'au 30 avril, quelque soit le temps et s'empare de son imperméable qu'il enfile par dessus sa veste en laine. Dans l'escalier qui le mène vers la sortie de l'immeuble, son souffle est de plus en plus court. Il s'arrête sur le palier du premier étage, essaye de se calmer, pour la première fois depuis qu'il a signé sa convention obsèque, Georges Meunier pense à la mort. La sienne. Il a soudain peur de sortir dans la rue, de voir d'autres personnes, et pourtant il sait que, seuls, les autres pourront lui donner la confirmation de ce qu'il a vu...
Il remonte la rue jusqu'au carrefour de l'avenue de Clichy, traverse et s'engouffre dans la rue des Dames à un pas plus rapide que la foulée de facteur qu'il a pratiquée depuis 1958. Et, comme s'il voulait à tout prix nous prouver que décidément, ce n'est pas un jour comme les autres, il entre dans le bar tabac qui fait l'angle avec la rue Biot. Georges Meunier a toujours soigneusement évité tout lieu de rassemblement, qui plus est enfumé, ne voulant pas se mêler à ses semblables. Mais, aujourd'hui, il espère être témoin d'une conversation sur ce qui est arrivé ce matin, attraper au vol des indices sur cette machination infernale.

3 Vous avez toujours quelque chose à dire :

  • A 7/8/06 12:38, Blogger Maître a eu le culot d'écrire

    Ne serait-ce pas finalement l'histoire de Mich avant qu'il ne change de sexe?
    Va t il s'acheter une fougasse aux olives chez la boulagère de la rue des dames?

     
  • A 7/8/06 14:54, Blogger Maître a eu le culot d'écrire

    en revoyant votre photo la ressemblance avec un lama est frappante

     
  • A 23/8/06 19:59, Blogger lovesick puppy a eu le culot d'écrire

    la suite, on veut la suite... Georges... s'il te plaît...

     

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